Médaille

Trois médailles « alimentaires »

Ce titre est un peu provocant, mais il correspond à une réalité économique.

Lorsque je suis rentré à la Monnaie en 1977, j’étais locataire dans un pavillon de banlieue bâti en meulière, particulièrement peu commode, à la limite d’être insalubre…

J’eus immédiatement en projet d’accéder à la propriété, et pour limiter les sommes à emprunter, j’ai fait, comme la plupart de mes prédécesseurs de l’A.d.G, des travaux personnels. Il faut préciser que le salaire d’un graveur débutant n’avait rien de mirobolant… 4500 francs en moyenne (686 €), mais au moins, il était sûr, contrairement à celui d’un artisan !

Lorsque l’emploi du temps de l’Atelier de Gravure était complet, plutôt que de refuser des travaux, le chef d’atelier—Pierre Rodier à cette époque— proposait ces travaux à traiter à titre privé. Je me suis donc positionné pour postuler à certains de ceux-ci. C’est ainsi que j’ai travaillé, en 1978 et 1979, pour la DST, BIS, et la BCEAO.

Ces médailles étaient parfois purement commerciales, charge à moi de leur donner un petit caractère artistique… (Fig. 1 & 2)

DST

Lorsque j’ai accepté la médaille pour la DST, j’étais dans mes petits souliers. J’ai été accueilli dans les bureaux de la Direction de la Surveillance du Territoire, 11, rue des Saussaies à Paris, où l’on m’a expliqué quel était le rôle de cette institution discrète…

J’ai traduit une France qui se défend des regards extérieurs (les flèches), et qui protège les domaines sensibles : la marine, les transmissions, l’industrie, l’aviation, la recherche, les technologies de pointe… Le dessin de la face est un miraculé ! (Fig. 3 à 6).

J’ai réalisé ce travail en taille directe, en alternant une partie gravée en poinçon, et une autre, en matrice.

Pour le revers, j’ai simplement encadré le texte « Direction de la Surveillance du Territoire » par les mêmes flèches que sur la face, cette fois-ci tournées vers l’extérieur (Fig. 7).

Le tirage fut de 100 exemplaires en bronze, complété de 1982 à 1997 par 232 autres exemplaires. J’ai perçu 6000 francs d’honoraires (914,69 €) et 390 francs de droits d’auteur la première année, et 1903,31 francs pour l’ensemble des retirages (fig.20).

Seulement 332 exemplaires qui en font une rareté !

BIS

Je connaissais un peu cette société de travail temporaire, ayant été embauché chez eux en 1969, au début de mon séjour à Lyon. Mais cela ne m’a pas aidé pour ce travail !

J’ai employé la même technique d’alternance de travail en relief puis en creux. Sur le poinçon, j’ai réalisé deux formes sphériques qui s’interpénètrent, une convexe, l’autre concave décentrée. J’ai gravé les cartes de l’Europe et de l’Amérique, sur lesquelles j’ai insculpé des petits personnages que j’avais réalisés sur des petits poinçons (Fig. 8&9).

Une fois trempé et enfoncé ce poinçon, j’ai gravé en taille directe les trois visages dans le cercle concave, une femme en premier plan, deux hommes en arrière.

J’ai réalisé le revers uniquement en gravure sur le poinçon ! Le sujet étant très austère, j’ai cherché à le rendre vivant en laissant bien visibles mes coups d’outils. J’ai donc dégagé le titre et le texte au burin, et j’ai insculpé la couronne de laurier à l’aide de poinçons qui faisaient partie du patrimoine de l’A.d.G (Fig. 10).

De cette médaille ont été frappés, uniquement en 1978, 3010 exemplaires en bronze et 20 exemplaires en argent, pour lesquels j’ai perçu 7000 francs d’honoraires (1067,14 €) et 10 013,12 Francs (1526,5 €)de droits d’auteur (fig.20).

J’ai découvert, quelque temps plus tard, que BIS avait fait transformer (déformer) ma médaille pour en faire fabriquer des portes clef (Fig. 11) ! Grosse fâcherie de ma part, vous pouvez vous en douter… et, sans rien faire, j’ai perçu 4800 francs (731,75 €) pour mon silence.

BCEAO

Ce travail a été proposé « à la cantonade » car il était très particulier. Il s’agissait de réaliser les portraits de six présidents africains, ce qui nécessitait donc plusieurs graveurs, mais en outre, il fallait regrouper les six portraits sur une autre médaille ! Vaste programme…

J’ai hérité du portrait de Mathieu Kérékou, président du Bénin (Fig. 12 à 14).Il était reconnaissable à ses belles scarifications, typiques de cette région d’Afrique (Bronzes d’Ife, du royaume yoruba, actuellement dans le Nigéria voisin. Fig. 21, 22&23).

Je n’ai malheureusement qu’une photo de mon plâtre, et pas de ma médaille.

Serge Levet, Pierre Javaudin, Denis Chatelain et Jean-Pierre Gendis se sont réparti les autres portraits. J-P. G et P.J. ont pris deux portraits ainsi que l’assemblage des 6 plâtres.

Jean-Yves Thébault s’est chargé du revers unique, dont il m’a fourni les documents de travail (Fig. 17 & 18). cf. https://emile-rousseau.fr/graveur/jean-yves-thebault/

L’assemblage des 6 modelages fut très acrobatique, mais nous nous sommes bien entendus, et le résultat fut satisfaisant (Fig. 15).

Récemment, Bruno Visentini a réalisé l’identification des 6 portraits, en contactant directement la BCEAO (Fig. 16).

Chassepot (J-Y. T) m’a confirmé ce dont je me souvenais très bien : certains anciens nous avaient assuré que l’on n’y arriverait pas, que l’on se « casserait la figure ». Ce fut un travail très délicat, il fallait harmoniser six « pattes » différentes. Ce fut une belle démonstration malgré notre relative jeunesse.

Il a été frappé 500 médailles en bronze et quatre en or, une pour chaque président ! Nous avons perçu 7000 francs d’honoraires (1067,14 €) et 3162,79 francs de droit d’auteur soit 482,16 €. Je n’ai pas le détail de ces droits, mais les 4 médailles en or ont compté pour beaucoup dans ce total ! (Fig. 19 & 20).

BILAN

Le montant des honoraires pour ces trois travaux s’est élevé à 24 800 francs soit 3780 €.

Le total des droits d’auteur s’est élevé à 13 565,91 francs, soit 2068,11 €.

En fouillant dans mes archives, j’ai découvert que j’avais continué à travailler pour certains de mes clients de ma période d’artisanat ! 25 gravures pour un total de 22 750 francs, soit 3468,22 €. Je ne chômais pas à cette époque !

Grâce à tous ces travaux, j’ai pu devenir propriétaire de mon pavillon de banlieue en 1980,en limitant mon endettement ! J’ai, par la suite, pris d’autres travaux personnels que je vous ai déjà présentés (Jardins secrets, promenade autour de la Monnaie, Professeur Jacquillat, Hippolyte Bayard), et sûrement quelques autres, mais beaucoup plus rares… cf. https://10francsgenie.fr/medailles/

 

Dans la vie, on n’a rien sans effort !

Galerie