Présentation
Lorsque je me suis établi en tant qu’artisan graveur, avec mon pote d’école, Georges Bergevin, nous avons appliqué ce que nous avait dit notre professeur, Pierre Mignot* :
« —lorsqu’on vous demandera si vous savez ou pouvez réaliser tel travail, vous répondez oui, et vous réfléchissez après, sinon, vous ne ferez jamais rien ! ». C’est ce que nous avons fait, et c’est comme ça que nous avons appris notre métier.
Le 28 avril 1973, nous avons été contactés par un certain« BUK », envoyé par notre ancien professeur. Ce Monsieur cherchait un graveur pour réaliser des décorations d’armes de grand luxe. C’est ainsi que nous avons appris à graver sur des armes, mais pas du tout comme cela se fait à Saint-Étienne ou à Herstal (Belgique)… mais essentiellement par des incrustations de matériaux précieux, or et platine, et avec une finition par bleuissage…
Nous avons d’abord fait nos gammes sur des fragments de canons de fusils, en gravant des saignées en contre-dépouille (queue d’aronde), et en y écrasant du fil d’or 24 carats, et en dressant et polissant le tout. Le résultat atteint, nous avons réalisé des essais de bleuissage…
Là commença une période de six mois durant laquelle nous avons observé, analysé, réfléchi, testé, jusqu’à fabriquer un bac à bleuir… Notre raisonnement était simple : nos prédécesseurs, sous Louis XVI ou Napoléon Ier, le faisaient, nous ne sommes pas plus bêtes qu’eux, donc nous le ferons… Mais les écrits étaient rares, et peu explicites… Au bout de six mois, nous maitrisions enfin cette technique. (Cette redécouverte est à nouveau perdue).
Pour les bois (crosses, fûts), nous avons appris à sculpter sur noyer ou sur ébène, avec des ajustages de très haute précision, et à travailler l’ivoire, le corail…
Monsieur Maximilien Bukspan avait déjà fait réaliser certaines parties de décors sur les bois, nous nous sommes attelés à réaliser notre premier fusil en respectant son dessin… Mais le style imposé par ce monsieur était loin de nous plaire, et nous avons commencé à réfléchir pour graver nos propres créations…
Notre collaboration a duré deux ans, mais nous avions déjà commencé à prendre notre voie personnelle. Pour cela, il nous a fallu régler un problème majeur : acheter des armes ! Pour le fusil de chasse, cela n’a pas été très compliqué, nous sommes allés à Saint-Étienne, chez l’artisan « L’Aiglon », de grande renommée. Nous avons demandé à Monsieur Granger de nous fabriquer un fusil à platine spécialement préparé pour ce que nous envisagions, et surtout en suivant mon dessin des bois, plus moderne que sa fabrication habituelle ! Notre collaboration a été très enrichissante au plan professionnel et amical.Pour les armes de poing, il nous a fallu obtenir un permis de détention d’armes, pour pouvoir acheter deux révolvers qui avaient assez d’allure pour supporter nos projets…
J’ai créé le premier décor pour la Smith &Wesson44-magnum, canon de 6“ 3/8e. Nous avons exposé notre première réalisation en 1975, à la première Bourse aux Armes à Paris. Notre présentation a été très remarquée, et nous avons eu nos premières commandes !
Lors de la 2e Bourse aux Armes,en plus du S&W, nous avons présenté notre Colt Python, et nous avons eu une proposition hors du commun : travailler en public dans le stand “Terre des Hommes” du Pavillon de France, pendant les Jeux Olympiques de Montréal. C’est ainsi que nous avons passé l’été 1976 dans “la belle province”. Pour ce séjour, nous avions reçu un prototype de “MR-73”, un révolver Manurhin©, que nous avons gravé au Canada, sur le thème des J.O.
Ce séjour, ces deux Bourses aux Armes, et de nombreux articles ne suffisant pas, nous avons épluché le Whos’ Who, sélectionné une centaine de personnes signalées comme étant chasseurs ou collectionneurs d’armes, et nous leur avons envoyé un dossier de présentation. Cela nous a amené plusieurs bons clients.
Non contents de ça, nous avons écrit au Président de la République, en espérant que l’Élysée nous commande une arme, ce qui aurait été une merveilleuse reconnaissance. Nous avons eu, en avril 1976, un rendez-vous auprès de Monsieur Valéry Giscard d’Estaing. Vous imaginez la scène : deux jeunes de moins de 30 ans, arrivant avec 2 révolvers et un fusil de chasse à l’Élysée ! Les Gendarmes étaient prévenus, ils ont contrôlé l’absence de munitions, et nous avons eu notre audience. Après les compliments d’usage, il nous a été répondu que “l’Élysée n’offre que des valeurs sûres”… Au moins, nous avions tenté, et nous n’avons aucun regret.
Parmi nos clients, nous avons eu M. Serpette, antiquaire et expert en armes auprès des tribunaux ; M. Chardonnet, Notaire, rue des Pyramides et quelques autres. Le plus étonnant fut M. Sammuel Cummings, de Interarms, à Monaco, connu comme un célèbre “marchand de canons”…
Mais voilà, la crise consécutive au premier choc pétrolier avait mis à mal bon nombre d’industries pour lesquelles nous travaillions, souvent dans des domaines de “non indispensable”. Bergevin a cessé son activité de graveur en 1976, et je l’ai suivi quelques mois après : nous avions chacun deux enfants à nourrir. Bébert a acheté un hôtel, et moi, j’ai préparé le concours d’entrée à la Monnaie de Paris.
Vous connaissez la suite… Ce que vous ne savez pas, c’est que j’avais aussi présenté ma candidatureà un poste de cantonnier à Cucuron (Vaucluse) où habitaient mes parents. Quitte à faire autre chose que de la gravure, autant être au soleil… J’aurais sûrement fini ma carrière en tant que Maître-Cantonnier !
Et vous ne m’auriez jamais connu !
*Pierre Mignot. Lien vers l’article de Nicolas Salagnac :