Graveur sur Acier

23. Les femmes à l'atelier de gravure de l’Administration des Monnaies et Médailles

Lorsque je suis entré à l’atelier de gravure de la Monnaie de Paris, en 1977, il n’y avait que des hommes. Il y avait d’ailleurs bien peu de femmes dans les ateliers de la Monnaie, à part à la bijouterie : la gravure n’était donc pas une exception. Il pouvait difficilement en être autrement.

Je suis entré à l’école Boulle en 1962, c’était la principale école formant des graveurs, il n’y avait aucune fille parmi les élèves, pas même dans des ateliers comme la tapisserie, ni en bijouterie, absolument que des garçons.
Ce n’est qu’après les événements de 1968 que les filles y ont fait leur entrée. À la gravure, il a fallu attendre 1970 pour voir entrer la 1re. La seconde est entrée l’année suivante.

Élisabeth Cordier fut la 3e, elle rentra à Boulle en 1972. En ma qualité d’artisan, je fus invité par Pierre Mignot à faire partie du jury lors de la présentation de son diplôme, qu’elle obtint sans difficulté.
En 1983, elle se présenta au concours d’entrée à la Monnaie en qualité d’élève graveur et le réussit. Elle sera adoubée graveur en 1985. Son arrivée dans une équipe de 19 hommes créa quelques inquiétudes chez certains… Craintes vite dissipées tant Élisabeth n’a pas fait de chichis, et s’est mise au travail comme tout le monde.
En 1995, une deuxième jeune femme arriva, Fabienne Courtiade, dont vous connaissez bien le nom, en tout cas vous devriez !
Et en 1999, elles furent rejointes par Cécile Renault, qui rentra également en qualité d’élève graveur, et qui vient d’être nommée Maître Graveur en 2017.

Mais pourquoi donc écrire un article sur les femmes à l’AdG ?

D’abord, les règlements du travail exigeaient qu’elles aient un vestiaire à part, ainsi que des toilettes rien que pour elles… Ça avait l’air simple, mais dans des bâtiments historiques déjà bien remplis, ce ne le fut pas. Ce furent Chassepot et Sup-zub qui abandonnèrent leur privilège en leur faveur !
Ensuite, prenons l’exemple d’une médaille de 100mm, la matrice mesure 20 cm de diamètre, et pèse une vingtaine de kilos ! Lorsqu’on en faisait un relevé ou un enfonçage, les poids à manipuler étaient importants. On savait qu’il faudrait parfois les aider, mais même certains gars avaient parfois besoin d’un coup de main dans des cas comme ça.

À l’arrivée d’Élisabeth, notre « chef vénéré » nous a réunis, et nous a dit : « Une femme va arriver à l’atelier, il faudra arrêter de dire de gros mots et autres horreurs » !
Eh bien non, on n’a pas arrêté… mais on n’en a pas rajouté non plus ! Élisabeth avait fait ses quatre années à Boulle, elle avait dû en entendre des vertes et des pas mûres… Donc, tout s’est bien passé. (cf mon premier dessin). Elle avait et a toujours beaucoup d’humour, et nos 23 ans passés en commun furent sans une ombre. Nous avons même été très soudés lorsqu’elle a eu des soucis importants à cause de la santé de son fils, moments où les termes de solidarité et de fraternité ont pris tout leur sens.

L’arrivée de Fabienne fut un peu différente : si Élisabeth était mariée, Fafa ne l’était pas… et quelques gars, graveurs et autres, ont un peu fait les coqs… Avec le temps, ça s’est passé ! Lors du concours pour les pièces de l’Euro, Fabienne a remporté la timbale pour les petites coupures de 1, 2 et 5 centimes, et puis elle fait sa carrière comme tout un chacun.

Pour l’arrivée de Cécile, le « problème » fut qu’elle était et est toujours toute petite ! Ça nous a donné beaucoup d’occasions de blagues, mais, il a parfois fallu adapter l’accès à certains équipements comme l’établi qui était équipé des gros étaux à pied, bien trop haut pour elle.
Cécile avait et a toujours beaucoup d’humour, et elle encaissait bien nos blagues donc je ne me suis pas privé. Dans mes caricatures, je l’ai toujours représentée avec un petit drapeau rouge qui permettait qu’on la repère bien !!!!! (cf dessin)

Les femmes sont des graveurs comme les autres.

Elles savent être courageuses, teigneuses, dures au mal, joyeuses, renfrognées, créatives, patientes, marrantes, lunatiques, délicates, etc. tout comme les gars. Pas plus, pas moins.
Depuis mon départ, il est rentré plusieurs autres filles, Delphine, Sonia, Mélanie et Claire. À présent, il y a la parité à Paris, 4/8, où elles vont devenir majoritaires prochainement, avec le départ à la retraite de Kiki. Ce n’est pas encore à Pessac, où Cécile est encore la seule fille, 1/4 !

Un jour, peut-être, on trouvera bizarre qu’il n’y ait pas d’homme à l’AdG !

En 2017, Élisabeth est partie à la retraite : ça m’a foutu un sacré coup de vieux, mais ça m’a aussi donné l’occasion de revenir pour la première fois à la Monnaie depuis mon départ en 2006 !

PS : Certains voudraient que je dise « graveuse »… Je m’y refuse. Ce mot est déjà utilisé pour des machines à graver, ce que ne sont surtout pas nos Dames graveurs !

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