Graveur sur Acier

20. L’établi du graveur

On ne peut pas imaginer un graveur sans établi.

Chaque graveur a le sien, et même si les établis sont presque tous fabriqués sur le même modèle, ils sont tous personnalisés !

À l’École Boulle, une vingtaine d’établis étaient en ligne, devant une longue succession de fenêtres. Chez mes employeurs successifs, j’ai parfois eu un établi très peu adapté et parfois un très mauvais éclairage…

Artisan, je me suis fait fabriquer un grand plateau de 2,50m de long par 80cm de largeur et 10 cm d’épaisseur ! J’avais bricolé deux solides blocs à tiroirs en guise de piètement.

À la Monnaie, nous avions la chance que nos menuisiers fabriquaient les établis qui nous convenaient. Dans l’atelier principal, il y avait une quinzaine d’établis en deux rangées se tournant le dos, mais chaque rangée avait sa baie vitrée, la lumière étant un point essentiel pour un graveur ! (cf. photos).
Nos établis devaient mesurer environ 1,50 m par 70 cm… Les plateaux de 8 ou 9 cm étaient largement échancrés de façon à ce que le graveur puisse s’avancer et reposer les coudes sur le plateau. Le plateau repose sur deux blocs de quatre tiroirs très profonds. Le sol doit être bien horizontal et ferme, car on va être amenés à taper parfois très fort ! La stabilité de l’établi était assurée par son propre poids complété du poids énorme de l’outillage ! J’ose avancer un poids total en charge de 300 kilos.

Cet établi devait recevoir tout l’outillage du graveur. Vous avez eu un tout petit aperçu des outils dans des articles précédents…

Vous allez voir, leur variété et leur quantité sont immenses !

  • Une ou deux boîtes à burins, contenant entre 40 et 80 de ces outils, plus deux, trois ou quatre marteaux à buriner.
  • De nombreuses boîtes à ciselets et à traçoirs, contenant plus d’une centaine d’outils, avec deux, trois ou quatre marteaux à ciseler.
  • Quelques boîtes de poinçons personnels. (L’Atelier est propriétaire d’une immense collection de plusieurs milliers de poinçons), et deux ou trois masses pour insculper les poinçons. Un ou deux gros plots d’acier pour la frappe des poinçons.
  • Dans des boîtes, ou bien réparties dans les râteliers latéraux, plusieurs dizaines d’échoppes, 40 à 60… et quelques appuis en bois ou bronze, allant avec.
    Une collection de petites limes douce, plate, queue-de-rat et tiers-points pour la préparation des poinçons… (20 à 50 pièces).
  • Plusieurs boîtes de limes-aiguilles et de rifloirs (50 à 100 pièces)
  • Au moins un boulet personnel. (L’atelier possède une variété de boulets collectifs), et un ou deux palonniers pour recevoir les boulets.
  • Un coussin pour la taille douce, la gravure de plaques.
  • Deux pierres à huile, parfois double-face avec des grains différents, pour les affûtages courants ne nécessitant pas le déplacement à la meule à eau.
  • Des petites pierres d’arkansas, taillées en fonction de besoins spécifiques.
  • Une ou deux burettes à huile, du solvant pour nettoyer ces pierres.
  • Un pied de loupe et trois ou quatre loupes de grossissement échelonné entre x3 et x20.
  • Une paire de binoculaires avec plusieurs jeux de verres de rechange.
  • Une lampe d’établi, permettant de compléter l’éclairage naturel.
  • Une plaque de fixation pour les chevilles à poinçons, et trois ou quatre modèles de chevilles.
  • Une ou deux équerres à poinçons.
  • Des poudres abrasives de tous les grains d’émeri, ou de la pâte diamantée.
  • Des papiers à polir de tous les grains, en feuille ou collés sur des supports en bois.
  • Des bois à polir, buis, peuplier et balsa.
  • Une scie à repercer et ses lames.
  • Une pince-étau à serrage par coin.
  • Des équerres fixes et mobiles, un rapporteur d’angles.
  • Plusieurs plots en bois dur pour les prises d’empreintes en plastiline®.
  • Du talc.
  • Des brunissoirs, des pointes à tracer, des pointeaux…
  • Des grattoirs de toutes formes, toutes dimensions, pour les finitions.
  • Un ou deux gratte-boësse, plusieurs brosses de différentes duretés, quelques pinceaux pour le nettoyage.
  • Une poire à lavement en guise de soufflette.
  • Du matériel de dessin : papier, calque, crayons, encre de chine, feutres, portes-plume, grattoirs, gommes, compas, règles, estompes, pinceaux, du rhodoïd®,
  • Des outils de mesure : réglets, pied à coulisse, compas d’épaisseur, compas de proportions, compas de profondeur et sa jauge, palmer.
  • Des équerres fixes et mobiles, un rapporteur d’angles.
  • Des réglettes de planéité.
  • Une lampe type Pigeon® pour réaliser le noir de fumée, pour les reports d’essais de frappe.
  • Une réserve de Rhodoïd®, de la craie sanguine.
  • Une boîte à modelage, des stocks de plastiline® de différentes duretés et quelques dizaines d’outils de modelage. Pour les moulages en plâtre, nous disposions d’un atelier spécifique, avec son outillage.

Outre le matériel de travail, un graveur stocke (plus ou moins) ses archives : brouillons et dessins, plombs d’essais de ses travaux, les exemplaires d’atelier des médailles qu’il a gravées (avant que cette attribution ne nous soit supprimée).

Bien entendu, le petit matériel est rangé dans les neuf tiroirs, au choix de chacun. Il est sorti en fonction des travaux en cours. Le rangement est très révélateur du caractère de chaque graveur ! De temps en temps, l’établi est entièrement débarrassé, gratté, curé, et ciré ! Ça sent bon ces jours-là à l’Atelier de Gravure !

Je regarde mes photos régulièrement, pour voir ce dont je n’ai pas parlé… ce que j’ai oublié, et je vois les «ridelles» qui séparent les établis sur les plus vieilles photos. Elles servaient à contrôler la lumière, mais ont disparu, je pense, dans les années 1980-90, tant elles étaient encrassées.

Avec le temps, les tiroirs se remplissent, on commence à stocker entre deux établis, puis derrière et puis, à l’emplacement des pieds… Parfois, on ramène des archives chez soi, on les range dans des cartons, on les oublie, et puis elles ressurgissent 30 ans ou plus tard, pour votre plus grand bonheur !

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