Graveur sur Acier

22. Les mesures des graveurs

Petit essai pratique pour reconnaitre et comprendre le tableau de mesure utilisé par les graveurs d’acier…

Les mesures utilisées entre les graveurs et les ajusteurs, tourneurs, outilleurs et autres fraiseurs de la Monnaie.

Parallèlement au système métrique traditionnel, auquel nous nous référons constamment pour tout ce qui concerne la cotation, existe aussi un autre principe plus artistique que mathématique, mis au point par les générations de graveurs qui se sont succédé depuis la nuit des temps, et qui se transmet secrètement aux jeunes graveurs embrassant la carrière. Je vais tenter, contre toutes les règles de notre déontologie, d’en dresser. Un inventaire détaillé, compréhensible pour les profanes.

 

« Poil de cul »

À la base de ce système très particulier, se situe ce que l’on nomme le « Poil de cul » que l’on peut situer dans une fourchette comprise entre le demi-millimètre et le micron, mais sans que cette mesure soit plus précise, d’où la grande difficulté pour un tourneur mécanicien à qui le graveur s’adresse en lui disant : « tu enlèves juste un « poil de cul »… Ce qui oblige le graveur à surveiller de près l’opération afin d’être certain de ne pas dépasser la cote désirée ; d’autre part, ce « poil de cul » sert de base à notre échelle de calcul puisqu’il en est en quelque sorte l’étalon.

 

« Chouïa »

Immédiatement en dessous du « Poil de cul », on trouve le « Chouïa », mesure typique très importante par son universalité et sa spécificité, commune d’ailleurs avec d’autres professions (entre autres la limonade et la restauration ; (J’en reprendrais bien un Chouïa»). On peut placer cette mesure entre le quart de millimètre et le centième de millimètre.

 

« Demi-chouïa »

Si l’on veut coter moins que le « chouïa », on utilisera le « demi-chouïa » qui, contrairement à ce que l’on pourrait penser, n’est pas exactement égal à la moitié du « chouïa », mais est supérieur au tiers du « chouïa ».

 

« Lichette » et « Petite lichette »

Ensuite nous trouverons la « lichette » mesure indispensable pour le graveur, car c’est la seule qui ne peut pas être quantifiée mathématiquement ; là encore le contrôle du graveur est nécessaire pour pouvoir effectuer n’importe quel usinage faisant appel à la « lichette » ; pour plus de sécurité d’ailleurs, le graveur demandera de procéder, dans l’opération d’usinage, par passes successives de « petite lichette », valeur un peu moins importante que la « lichette », plus petite que la moitié, mais plus grande que le quart de la « lichette ».

 

« Nième »

Par contre, si le graveur désire faire enlever très peu de métal, il préférera parler en « nième » que le mécanicien chevronné pourra aisément traduire en dixième et demi-dixième de millimètre ; c’est le seul point d’équivalence avec le système métrique.

 

« Chouille »

Maintenant, quand on arrive à des mesures infinitésimales, quasiment imperceptibles à l’œil nu, le graveur préfère parler de « chouille » (à ne pas confondre avec le « chouïa » précédemment cité), qui, curieusement, reste du genre masculin, en effet, on dira « un chouille », alors que la mesure qui lui est immédiatement inférieure se dira « une lichouille », chiffre très largement au-dessous du micron, c’est curieusement la seule mesure utilisée pour un enlèvement de métal qui n’engendre pas de copeaux, résidus ou même poussières de métal en fin d’opération, d’où l’importance extrême de cette appellation.

Voici donc succinctement dévoilé et commente l’éventail des différentes mesures utilisées presque uniquement par l’ensemble des graveurs, que ceux-ci soient du secteur privé ou public ; c’est un vocabulaire uniquement corporatif et seulement compris des gens qui exercent cette noble profession qu’est la gravure sur acier, et que des générations ont patiemment construit et accumulé au cours des siècles, et dont je vous ai livré ici quelques secrets.

 

Texte de Jean-Yves Thébault dit Chassepot et présentation de Jean-Luc Maréchal.

Fait à paris entre le 22 mars 1998 et le 27 mai de la même année, imprimé sur les presses de Savigny-le-Temple, celles du quai de Conti étant en panne… Édité par la librairie non académique, tiré à un seul exemplaire numérote 000.001 sur papier administratif à carreaux, et trente exemplaires sur papier normal blanc. Il n’y aura pas d’exemplaires de dépôt pour l’imprimerie nationale ni pour la bibliothèque du même nom… Droits de reproduction réservés à tous. n° 000.001

 

Postscriptum de 2018 : Ce petit article récréatif a aussi son côté sérieux ! Nous avions des relations professionnelles permanentes avec tous les corps de métiers en amont et en aval de notre travail. Lorsque nous avions besoin qu’un tourneur nous fasse un “rapprochage”, on ne parlait pas de millimètres, mais de ces unités de valeur bien à nous, et ça fonctionnait très bien ! Nos amis connaissaient notre travail, et savaient répondre à nos demandes.

 

Grand merci à Nicolas Salagnac qui avait sauvegardé cette pièce d’anthologie !

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